Beauclair. Ville de mon enfance. J’y viens qu’une fois par an à présent, passant sur la tombe de mes parents pour nettoyer et apporter des fleurs afin qu’il y ait un peu de gaieté dans ce lieu plutôt sombre. Les enfants ne pouvaient venir, chacun étant pris par ses responsabilités, je m’y suis donc rendue seule. Restant un petit moment à discuter avec eux, leur expliquant comment je me porte à présent et que mes enfants sont pour beaucoup dans tout ça, je repars et retourne vers mon quartier à l’époque. Il a changé d’ailleurs. La maison de mes parents a été revendue et je peux y voir quelques enfants jouer dans le jardin, me rappelant mon frère et moi à l’époque. Ça fait de nombreuses années que je n’ai pas eu de nouvelles de sa part et pour cause, le fait qu’il ait rejoint les rangs de Valtor. Comment et surtout pourquoi ? Il n’a jamais su me l’expliquer, mais depuis nous ne nous parlons plus. Je ne l’ai pas revu et je ne sais à quoi il ressemble maintenant.

Je remarque que la maison des Silva est toujours fermée. Peut-être qu’il ne l’a pas revendu et qu’il y revient de temps en temps. Nous nous sommes perdus de vus depuis pas mal d’années à présent avec Saul, chacun étant partis faire ses études de son côté et puis nous avons tracé notre chemin. Je me demande ce qu’il est devenu aujourd’hui. Et j’espère qu’il va bien aussi et qu’il est heureux. Je dois dire que j’avais un petit faible pour lui à l’époque, mais ce n’était qu’une amourette de passage, étant petite pour savoir ce qu’était l’amour.

Me rendant dans un petit café dans le coin, qui n’existait pas à l’époque, je m’installe à une table afin de prendre un thé et un petit gâteau. Cela me permet de me poser un petit moment avant de retourner à Blackbridge.

Cela fait bien des années qu’il n’a pas remis les pieds à Beauclair. Et pour cause, Saul ne veut pas vendre la maison de son enfance. Pourtant la bâtisse est en train de s’abîmer, alors que le lierre a pris possession des murs depuis des années maintenant. Mais Silva n’arrive pas à se résoudre à passer au-dessus de cette appréhension de vendre la maison, alors que pourtant, il n’a plus aucune attache. Et si aujourd’hui le doyen d’Alfea se retrouve en ville, c’est parce qu’on l’a informé que la porte avait été ouverte. Sûrement des petits jeunes qui ont voulu s’amuser, mais du coup, Saulomon doit s’y rendre. Avec son arme à la main, il est donc entré entre les murs afin de s’assurer qu’il n’y avait personne. Cela a été bien étrange de voir de nouveau les mêmes murs que lorsqu’il était enfant. Mais il a fermé son cœur et fait comme si de rien n’était. Il ne doit pas penser avec ses sentiments, mais bel et bien avec sa tête. Et après avoir fait le tour de la bâtisse, Saul a bien vu qu’il n’y avait rien. Aussi, il a bloqué la porte avec des planches et des clous, avant de s’éloigner de là, les mains dans les poches.

Décidant d’aller dans un petit café, histoire de ne pas gâcher toute sa journée, Saul se met donc en mouvement. Il repense à plein de choses de son passé. Nostalgique. Mais ce n’est certainement pas le moment de penser à tout ça. Sinon il va repenser à tout ce qu’il a perdu. Andreas. Son meilleur ami qui a péri et qu’il a perdu définitivement. Soupirant, Saulomon relève le regard et s’arrête au milieu de la rue. Ses cheveux blonds, il les reconnaîtrait entre mille. Est-ce vraiment elle ? Il n’en est pas certain. Et pourtant, il doit s’en assurer. Sinon, nul doute qu’il sera rongé par le doute et les regrets de ne pas s’être assuré que c’était bien elle. Avançant donc, il s’arrête à la hauteur de la table de la femme. Et il avale difficilement sa salive. « Isallys ? » Il demande doucement, alors que son visage ne laisse rien transparaître. Mais il espère que c’est elle. Puis le doyen se dit qu’il doit sûrement sembler étrange, alors il reprend rapidement la parole. « Je suis Saulomon. Enfin si … c’est bien toi. Saul Silva. » Il espère qu’ainsi, elle se souviendra de lui. Peut-être qu’elle l’a oublié ? Après tout, ils n’étaient que des enfants. Mais lui, pourtant, n’a jamais réussi à se la sortir de la tête. Même si le temps a fait que son souvenir a été mis de côté.

Faisant un tour dans le quartier, ça me rappelle des vieux souvenirs en revoyant les maisons de chacun. La nôtre a été vendu à une famille avec enfants et je souris en les voyant courir dans le jardin, comme moi et mon frère à l’époque. Un peu après, se trouve la maison des Silva. Je jouais beaucoup avec Saulomon quand j’étais plus petite, avant qu’on se retrouve séparé par nos études. Mais je vois qu’il n’a pas revendu la maison. Sans doute habite-t-il encore dans le coin. Je n’ai jamais eu de nouvelles depuis, ne sachant ce qu’il est devenu et je lui souhaite du bonheur.

Me rendant au nouveau café au coin de la rue, je m’installe à une petite table dans le fond avant de commander un thé avec un petit gâteau, par gourmandise j’avoue. Attendant donc qu’on me ramène ma commande, je me perds dans mes pensées mais j’en suis sortie quand j’entends qu’on m’interpelle.

- Oui ?

Relevant la tête vers la personne à mes côtés, je reste le regarder, ne sachant pas qui se trouve près de moi. Il reprend alors la parole, sans doute en voyant mon interrogation sur mon visage et un sourire se glisse sur mes lèvres quand il me dit alors que c’est Saul.

- Je suis tellement contente de te revoir. Ça fait si longtemps. Tu as pris quelques rides en plus depuis la dernière fois.

Me levant pour le saluer, je lui offre un sourire amusé avant de le serrer doucement dans mes bras, heureuse de le revoir. Il a changé, ce qui en soit est normal depuis le nombre d’années écoulées depuis la dernière fois que nous nous sommes vus.

- Tu vis toujours par ici ? Mais installe-toi je t’en prie. Enfin si tu as un peu de temps devant toi.

Lorsqu’il repère sa silhouette, Saulomon n’est pas totalement certain que ce soit elle. Dans ses souvenirs, elle aurait vieilli de cette manière. Mais comment en être sûr, alors que la dernière fois qu’il l’a vu, ils n’étaient que des enfants ? Les années ont passé, et les épreuves de la vie avec. Mais pourtant, le doyen d’Alféa vient à prononcer son prénom, voulant savoir si son esprit ne lui joue pas des tours. Et quand la blonde réagit, il a enfin la certitude qu’il s’agit bien d’Isallys. Son cœur bat légèrement dans sa poitrine, alors qu’il avale difficilement sa salive. Pendant longtemps, il s’était demandé ce qu’elle avait vécu, où elle pouvait bien être. Mais il n’avait jamais eu le loisir de la recroiser jusqu’à aujourd’hui. Coup de hasard ou du Destin, alors qu’il ne voulait pas revenir à Beauclair. Mais lorsqu’elle pose un regard sur lui, Saul voit bien qu’elle ne le reconnaît pas. Aussi, il reprend la parole, essayant de se présenter maladroitement. Il n’est pas si doué que ça pour les contacts avec les autres, bien plus à l’aise sur un terrain d’entraînement. Un sourire se fige sur les lèvres de l’homme, alors qu’il ne peut s’empêcher de lâcher un petit rire, mi –figue mi-raisin. « Je dois en avoir pris beaucoup pour que tu ne me reconnaisses pas. » En même temps, la vie n’as pas été simple pour lui. Il a vécu bien des choses ces dernières années. Il a perdu plusieurs être chers. Mais Saulomon tente de garder la tête haute, vivant chaque jour pour ces personnes. Pour Andres. Pour Farah. Mais également pour Sky, qui lui non plus n’a pas eu une vie facile. Son fils d’adoption pour qui il donnerait sa vie. Elle se lève et vient le serrer dans ses bras. Il tente d’en faire de même, un peu maladroitement, avant de la relâcher. « J’ai du temps oui. » Aussi, Saul vient à s’installer en face d’elle après avoir tiré la chaise. Prenant place, il tape nerveusement du pied sous la table, avant de lui répondre. « Mais non, je ne vis plus ici depuis des années maintenant. Et toi ? » Il n’en sait rien. Il ne sait rien de sa vie, depuis la dernière fois qu’il la vue. Peut-être qu’elle est même mariée maintenant ? Un serveur vient lui demander ce qu’il souhaite boire et Saul choisit un café. C’est suffisant alors qu’il n’a clairement pas faim. « Qu’es-tu devenue depuis toutes ces années ? » Moyen pour le doyen d’en apprendre plus sur ce qu’elle a vécu toutes ces années où ils ne se sont pas vus.

Relevant la tête quand la personne à mes côtés m’interpelle, je reste le regarder, ne le reconnaissant pas tout de suite. Quand il me décline alors son identité, un immense sourire se glisse sur mes lèvres. C’est une sacrée surprise, je ne m’attendais pas à le revoir, encore moins ici. Mais peut-être qu’il est revenu vivre dans le coin après ses études. J’ajoute en riant qu’il a pris quelques rides depuis la dernière fois que nous nous sommes vus. Nous étions encore si jeunes à l’époque, ça remonte à bien longtemps. Mais il est vrai qu’il a toujours ses beaux yeux que j’aurais dû reconnaître car je les ai toujours appréciés.

- Je ne m’attendais pas à te revoir surtout. Mais cela me fait vraiment plaisir.

Et c’est sincère. Je l’appréciais beaucoup à l’époque, jouant souvent avec lui. Nous partions à l’aventure dans les champs et je lui montrais ce que je savais faire avec ma magie pour l’impressionner un peu. Nous en passions des heures dehors à jouer ou à discuter en grandissant. Cela m’a manqué au début, puis nous avons chacun fait notre vie.

Me levant pour le prendre dans mes bras, je lui demande alors s’il a un peu de temps devant lui afin de rester un peu discuter. Il accepte et je souris avant de m’installer à nouveau à table tandis qu’il répond à ma question en me disant qu’il ne vit plus ici depuis des années.

- Moi non plus. Je reviens une fois par an pour mettre des fleurs sur la tombe de mes parents. Mais je vis à Blackbridge maintenant. Et toi ?

Après tout, je ne connais plus rien de lui. Qu’est-il devenu ? Est-il marié ? A-t-il des enfants ? Beaucoup de questions et de temps à rattraper. Le serveur revient avec mon thé et un petit muffin tandis que Saul prend un café et je lui indique que je l’invite, cela me fait plaisir. Quand il me demande ce que je suis devenue, je lui réponds en riant légèrement.

- Tu as ta journée ? Je suis devenue professeur de danse et je possède mon petit studio à Blackbridge. D’ailleurs, si tu as l’occasion, tu seras le bienvenu. Et sinon je possède deux beaux enfants que j’aime plus que tout.

Je lui offre un sourire avant de prendre une gorgée de mon thé, encore bien chaud.

- Et toi alors ? Que fais-tu dans la vie ?