Il y a quelque chose de particulier à revenir ici, aux abords de l’université dans laquelle elle a vécu quelques mois. Belladonna fait face à la brasserie dans laquelle elle travaillait en parallèle de sa mission d’infiltration, des souvenirs si lointains, qui l'écœurent encore d’avoir dû se plier en quatre pour servir des fées. Voilà quelques jours qu’elle est revenue, qu’elle erre à Blackbridge avec une intention bien précise, se faire voir. Alycia Kane est de retour.

D’apparence innocente, dans une robe fleurie, aux connotations printanières, les cheveux relâchés, plus longs et plus foncés qu’il y a dix ans, mais son visage n’est pas de ceux qu’on oublie facilement. Elle sait que son visage est beau, son regard envoûtant, elle en a charmé plus d’un qui lui en ont fait les plus beaux compliments. Pour avoir vécu ici durant un an, elle a marqué quelques esprits susceptible de lui être utile aujourd’hui.

Ses pas foulent le sol, elle traverse la cité, un objectif bien précis en tête. Ca fait bien longtemps que les témoignages lui reviennent, il est connu comme le loup blanc au sein du cercle noir. Certains ne connaissent pas toute l’histoire, ça relève du mystère qui entoure le bras droit de Brennan, mais ils savent tous que ce fée en particulier les pourchasse. Ce noble printanier est pourtant réservé, Belladonna en fait son affaire, une affaire personnelle à régler.

Lorsque son regard aperçoit enfin celui de Maddox Kane, s’y accroche. Son cœur bondit dans sa poitrine, le souffle coupé, elle se fige sur place. Ça fait bien des années qu’elle ne l’a pas vu, 10 ans et elle trouve qu’il n’a pas changé. L’héritière s’est préparée à ce jour fatidique, le jour où il finirait par découvrir qu’elle n’est pas morte, elle a imaginé cette scène un million de fois, certaine d’avoir la situation bien en main, d’en avoir le contrôle. Mais son traître de cœur résonne jusqu'à ses oreilles.

Désormais certaine qu’il l’a trouvé, elle se met à courir à contre sens. Elle ne se donne pas la peine de vérifier qu’il lui court après, certaine qu’il le fera, il ne peut en être autrement. Belladonna court comme si les cavaliers de la chasse sauvage lui couraient après. Elle traverse le village, jusqu’à la lisière du bois qui l’entoure ou elle ralentit sa course effrénée. Désormais, son coeur a une raison de battre furieusement.

Elle s’arrête sans se retourner pour autant vers le fée du printemps, ses mains tremblent. Elle fait face à une petite clairière où ils avaient l’habitude de se retrouver pour pique niquer. La localisation est son choix, mais encore une fois elle ne pensait pas que les souvenirs resurgiraient avec une telle force. Elle constate qu’elle est incapable de se lui refaire face quand bien même c'est elle qui l'attire ici.

La pointe de son crayon qui rebondit sur sa feuille. Dans un rythme régulier. Effréné. Tic tic tic. Il sent qu’il approche de son but. Qu’à mesure de s’être rapproché, d’abord lentement, bien plus rapidement, il frôle du bout des doigts son objectif. Sa cible. Les rapports qui parsèment son bureau le prouvent : il a de plus en plus d’éléments. Et bientôt, bientôt il va pouvoir débuter ses recherches. Sa traque. Ce n’est plus qu’une question de jours. Il a recueilli bien des informations sur cette femme. Sur cette Sorcière Sanguinaire. Cette Hérétique. On dit qu’elle est proche de Valtor. Tellement qu’elle pourrait être son bras-droit. Le sourire de Maddox s’étire à cette pensée. Carnassier. Il s’imagine lui tombant dessus, au détour d’une ruelle. Usant de divers pièges et stratagèmes afin qu’elle se prenne dans ses filets. Qu’elle soit sienne. Pour qu’ensuite, il puisse la trainer devant la justice, et qu’enfin elle passe le restant de ses jours derrière les barreaux. Qu’elle croupisse en prison, et qu’ainsi elle paie pour tout le mal qu’elle a fait.

Son téléphone vibre, le faisant sursauter. La tête de Rune, son chien, qui se redresse. « Pas cette fois, mon grand. C’est trop dangereux, qu’il rétorque avec un air désolé. Il faut que j’y aille seul, mais promis, ce soir, on fête ça tous les deux. » Le regard de Rune qui se veut méfiant, mais qui, devant la perspective d’une bonne pièce de viande bien saignante, se laisse tenter. Maddox déverrouille son téléphone, lisant le SMS qui s’affiche sur son écran d’accueil. Elle est là. Bourg de Blackbridge. Robe à fleurs. Le texte est bref. Concis. Précis. Il n’en faut pas plus à Maddox pour qu’il se lève de son siège, qu’il attrape sa veste et ses clés, et qu’il se précipite dehors. Un portail est rapidement créé, le déposant à peine dix minutes plus tard dans ledit bourg de Blackbridge. Dans un sens, c’est étonnant, comme choix. Qu’elle ose s’aventurer si près de l’académie d’Alféa. Si près de lui. Ça pue le piège, que son instinct lui crie. Mais Maddox est trop confiant. Trop impatient. Il ignore cette petite voix qui lui dit de se méfier et de faire plus attention. Dommage.

Il ne met pas longtemps avant de l’apercevoir. Avec ses cheveux relâchés et sa robe qui ondule au grès du vent. Y’a un sentiment étrange qui le parcourt, à mesure qu’il se rapproche. Comme si cette silhouette lui était familière. Comme si ses souvenirs tentaient de lui faire savoir quelque chose. Il n’a, au final, pas le temps de comprendre ce qu’il se passe que la femme se retourne. Et quand ses orbes s’accrochent aux siennes… Maddox sent son cœur imploser dans sa poitrine. Ces yeux, ce visage, cette silhouette… L’homme s’arrête net, sa bouche s’ouvrant dans un « O », à l’image des poissons rouges hors de l’eau. Il l’observe, médusé. Son cerveau se grippe, se fige, bug complètement. Comment est-ce possible ? Est-ce seulement la réalité ? Les pièces du puzzle ne s’imbriquent pas. Y’a quelque chose qui ne tourne pas rond. C’est pas net du tout.

Et alors que Maddox veut se rapprocher pour la retrouver, la voilà qui s’enfuit. Comme dans ces cauchemars où l’objet de toutes ses convoitises est à portée de mains, et pourtant toujours inatteignable. Ni une, ni deux, le voilà qui se met à courir à son tour, se lançant à sa poursuite. Ils quittent le bourg pour se retrouver dans la forêt bordant le village. Pourquoi l’emmener ici, à l’abri des regards ? Là encore, il devrait se méfier. Mais il a bien d’autres questions en tête pour se focaliser sur ce détail. Elle finit par s’arrêter dans la clairière où ils avaient l’habitude de se retrouver pour un pique-nique. Comme au bon vieux temps. « Alycia… ? qu’il souffle dans un murmure alors qu’elle lui tourne le dos. Y’a toujours cet état de sidération qui le traverse et qui l’empêche de réfléchir intelligemment. Comment c’est possible ? Il s’approche, jusqu’à être tout proche. Il sentirait presque son souffle tout contre son torse. C’est bien toi ? » Et d’une main tremblante, le voilà qui vient toucher l’épaule nue de celle qu’il ne pensait plus jamais revoir, confirmant ainsi, devant la chaleur de sa peau, qu’il ne rêve pas et qu’elle est bel et bien là, devant lui.