Il est encore sous le choc. De la perte de ses pouvoirs. Des retrouvailles avec celle qu’il pensait morte. Et il doit faire un deuil. Encore. Il ne sait pas ce qui est le pire. De ne plus être relié à la Terre. Ou que celle qu’il a aimé du plus profond de son être et qu’il a pleuré tous les jours pendant ces dix dernières années ne soit pas celle qu’il pensait. Il est perdu, Maddox. Désorienté. Finalement, il aurait peut-être mieux valu qu’elle soit morte. Pour de vrai. Ça lui aurait évité cette douleur au creux de la poitrine. Et cette amertume au fin fond de sa bouche. Elle l’a trahi. Elle lui a menti. C’est la seule explication possible. Et putain, qu’est-ce que ça fait mal. Oui, il aurait clairement mieux valu qu’elle soit morte.

Il erre dans les couloirs d’Alféa. Sans savoir quoi faire, ni où aller. La nouvelle quant à la perte de ses pouvoirs s’est répandue comme une trainée de poudre au sein de l’université. Et si personne, jusqu’à présent, n’a osé venir lui en parler, force est de constater que ça ne va pas durer. Et que va-t-il pouvoir répondre ? Qu’un membre des Héritiers du Phoenix a envoyé un scraper sur lui, qu’il lui a volé ses pouvoirs, et que depuis c’est comme s’il n’était plus que l’ombre de lui-même ? Il se souvient de la douleur qu’il avait vu à travers le regard d’une de ses étudiantes, Flora, quand ça lui était arrivé. Il avait ressenti de la pitié à son égard. Et à présent, c’était bien plus que ça. Il savait exactement ce que ça faisait. Il partageait sa peine, sa douleur, son incompréhension. Comment vivre dans un monde rempli de magie, quand on en a été privé ? Maddox se sentait brisé. Une part de lui avait été arrachée. Il ressentait un manque, une douleur sans nom. Et il ne savait clairement pas comment réagir. Ni comment y remédier. Noyer son chagrin dans l’alcool ? Une fois de plus ? Après tout, il ne serait plus à une bouteille près… Il s'était senti au fond du trou pendant toutes ces années. Mais finalement, sa situation pouvait encore être pire.

Un soupir qui passe la barrière de ses lèvres tandis qu’il manque de trébucher. Son chien, Rune, qui relève la tête et qui plante son regard dans le sien. Communiquer avec lui lui manque. Tout, de toute façon, lui manque. Sa mâchoire qui se contracte en même temps que son regard se durcit. Ils vont payer. C’était déjà une certitude à l’époque, mais cette fois c’est encore pire. Maddox a tout perdu. Sa femme, sa magie… Que lui reste-t-il à présent, si ce n’est cette soif de vengeance et de justice ? Il porte la bière qu’il trimbale dans sa main depuis tout à l’heure à sa bouche, puis grimace en constatant qu’elle est vide. Un grognement qui s’échappe, guttural. Il balance la bouteille dans la première poubelle qu’il trouve, prenant la direction bon gré mal gré de sa chambre. Il a besoin de quelque chose de plus fort. Pour ne plus rien ressentir. Parce que la douleur, elle est encore bien trop présente. Et il faut que ça cesse. Alors qu’il arrive devant la porte de ses appartements dans une aile réservée au personnel de l’université, il remarque une silhouette tapie dans l’ombre. Il n’a pas besoin d’avancer plus pour reconnaitre Terralyn. Sa main qui vient masser sa nuque encore endolorie, son visage couvert de blessures légères et d'ecchymoses suite à son combat contre l'Héritier qui l'a privé de ses pouvoirs. « Terra, qu’il clame d’une voix lasse, Oui, les rumeurs sont vraies, qu’il démarre de but en blanc, pressentant déjà les questions qui vont arriver, Et non, je n’ai pas besoin de ton aide. Mais c’est gentil d’être passée. » Une manière délicate quoi que peu subtile de tenter de se débarrasser de la jeune fée. Non pas qu’il ne l’apprécie pas, bien au contraire, mais il n’est clairement pas d’humeur pour parler avec qui que ce soit. Que ce soit ce soir, ou tous les autres à venir.  

L’atmosphère de l’Académie te semble dérangeante depuis quelques jours. Comme si une menace planait au-dessus de vous pourtant, rien à l’horizon. Tu te dis que c’est peut-être simplement toi, que tes angoisses prennent le dessus sur la raison, que tu t’imagines le pire pour oublier les malheurs qui sont déjà passés. Comme si vivre dans la peur te ramenait à ce qui te hante chaque jour. Comme si ça pouvait le refaire vivre quelques secondes vers toi.
Les nouvelles vont vite sur le campus et lorsque tu as entendu celle concernant ton ami Maddox, tu n’as pas pu résister aux besoins d’être là pour lui. Tu le connais depuis des années, tu sais qu’il ne sera pas possible de l’approcher, qu’il aura besoin de temps seul mais tu sais aussi qu’il ne viendra jamais demander de l’aide. Tu le sais parce que tu ferais pareil. Il faut du temps avant de réaliser que seul, c’est plus difficile. Tu n’as pas besoin de connaître les détails de ses mésaventures, tu n’es pas curieuse de connaître ses malheurs, tu as juste besoin d’être sûre qu’il tient le coup. Tu sais qu’il va mal et peut-être quand même que tu aimerais le voir de tes propres yeux pour en être sûre.

Bien que tu ne sois pas du genre festif, ou du genre à noyer tes problèmes dans l’alcool, tu as su observer ton ami pour savoir ce qui lui permet de s’évader. Tu l’appelles plusieurs fois mais sans surprises, aucune réponse. Tu ne t’attendais à rien d’autre. Alors sans attendre, tu prends le rhum acheté auparavant et tu t'es diriges vers son logement à l’académie pour l’attendre. Tant pis si tu dois camper trois jours devant sa porte, tu resteras. Aujourd’hui, tes états d’âme ne comptent pas, seulement les siens.

Il se passe bien une heure avant que tu repères le bruit de ses pas lourds à côté des quatre pattes de Rune. Tu te relèves lorsque sa silhouette se dessine au loin dans le couloir, au moment où il te remarque. Tu vois très bien qu’il n’est pas enchanté de te voir mais tu passes outre. Son accueil est froid et distant, comme tu t’y attendais.
« Qui t’a dit que tu allais avoir mon aide ? Je veux juste partager. » Tu dis en tendant entre vous la bouteille de rhum. Honnêtement, il pourrait très bien te rejeter tout de même, se foutre totalement de ta bouteille pleine. Mais tu tentes. Tu t’en voudrais de ne rien essayer pour être près de lui dans les moments difficiles. Il est important pour toi et comme toutes les personnes que tu aimes, tu ne peux pas les laisser sans aides. « Alors maintenant, sois tu vas picoler tout seul, sois tu me laisses entrer, moi, ma bouteille et mes conneries. » Tu lances pour te vendre, dans l’espoir qu’il t’ouvre cette porte. Ton regard planté dans le sien, marquant ta détermination, essayant de lui faire comprendre que tu ne bougeras pas d’ici. Rune s’approche de toi dans le même temps, comme si lui aussi voulait ta présence. « Tu ne peux pas lui dire non ? » Tu dis, les doigts dans son pelage, sourire conquérant aux lèvres alors que tu câlines son chien.

Ses mirettes qui fixent la bouteille de rhum qu’elle tient dans une de ses mains. Il n’a besoin que de quelques infimes secondes pour reconnaitre l’alcool dont il est question. Vilaine habitude. C’est un rhum de qualité, et mine de rien, ça joue forcément en sa faveur. Pendant un bref instant, il se dit qu’il va prendre la bouteille et rentrer dans son logement. Seul. Claquer la porte, fermer les yeux face au regard lourd de sous-entendus de Rune, et faire comme s’il ne s’était rien passer. Porter le goulot à sa bouche, boire le plus vite possible, pour ainsi sombrer comme une loque dans son lit –ou par terre s’il n’a pas le temps de se trainer jusque là-bas-. Maddox est lasse. Ereinté. Désemparé. Et il n’a absolument pas envie de voir quelqu’un. Et particulièrement pas Terra. Parce qu’elle le connait par cœur. Parce que d’un seul regard elle comprend. Et que ses mots ont une affreuse manie de toujours faire mouche et de le toucher plus qu’il ne le voudrait. C’est une amie sur qui il peut compter. Au cœur tendre et à l’oreille attentive. Et il n’a absolument pas besoin de ça ce soir. Parce qu’il ne veut pas s’épandre, Maddox. Il ne veut pas ouvrir son cœur, ne veut pas sentir monter en lui toute cette douleur qu’il accumule depuis ces derniers jours. Il ne veut pas lui parler du scraper, de la perte de ses pouvoirs, et encore moins de sa femme qui est finalement encore en vie, mais qui pire, est une traitresse. Il ne veut pas parler, ne veut pas penser. Il veut simplement qu’on lui foute la paix. Qu’il se noie dans sa détresse, dans l’alcool, dans n’importe quoi, mais qu’au final il ne se ressente plus rien. Il veut fermer les yeux, et que l’obscurité l’envahisse. Du noir. Du silence. Du vide.

Mais elle insiste, Terra. En appuyant forcément là où ça fait mal, et en activant les bons mots-clés. Elle le sait alcoolique, et forcément en ramenant une bouteille d’un rhum de qualité… Comment pourrait-il refuser ? Au vue de sa mauvaise humeur, il est en manque, et bien trop fatigué pour rentrer dans des négociations qu’il sait de toute manière déjà perdues d’avance. Terra a toujours raison, et elle arrive toujours à ses fins. Elle est comme ça. Aussi horripilante qu’attachante. Son regard qui passe de la jeune Fée à Rune. Voilà quelques secondes qui passent, durant lesquelles Maddox réfléchit. Elle joue la carte du chien. Echec et mat. Il a beau ne plus comprendre ce qu’il dit, le fait est que pourtant le message est clair. Il veut que Terra entre avec eux. Alors, dans un grognement mi-agacé, mi-exténué, Maddox s’incline et s’avoue vaincu. « Très bien, qu’il souffle donc dans un énième soupir, Tu peux entrer. » Il s’avance vers elle, puis sort de sa poche son trousseau de clés. Il met un peu de temps avant de trouver laquelle permet d’ouvrir la porte –et manque d’ailleurs de faire tomber le trousseau en s’activant à la tâche- ; mais finalement réussit sa mission. Il pousse la porte, laissant passer Rune, puis fait un léger mouvement de bras pour inviter Terra à faire de même. Il entre donc le dernier, et referme derrière eux. Quand il allume la lumière, il sent une certaine gêne l’envahir devant tout le bazar qui trône dans le salon. « Ne fait pas attention au désordre, qu’il tente quand même de dire, Ces derniers jours ont été compliqués. Ou plutôt devrait-il dire ces dernières années, car en réalité c’est toujours autant le désordre. Je n’ai jamais été très doué pour le rangement. Quoi que ça, tu le sais déjà, qu’il précise. » En réalité, c’était surtout sa femme qui s’occupait de tout ça. Maniaque dans l’âme, elle était son parfait opposé, mais ça lui allait très bien. Il préfère cependant ne pas s’épancher sur le détail, sentant son cœur se serrer dans sa poitrine.

Il préfère donc se diriger vers une étagère, pour en sortir deux verres. Il revient vers la table basse, regroupant à la va-vite les documents, livres et autres feuilles volantes qui siègent sur cette dernière. Si Terra a eu le temps de lire, elle a vite pu se rendre compte que ça parlait des Sorciers Sanguinaires, qu’il y avait plusieurs cartes, ainsi que des livres où les pages étaient annotées dans tous les sens. Pas trop compliqué, donc, de comprendre ce que Maddox était en train de faire. Mais ce dernier préfère garder le silence, attraper la bouteille que Terra lui tend, et leur servir généreusement deux bons verres. « On trinque à quoi ? À tes conneries ou aux miennes ? » Il ponctue la fin de sa phrase par un rire sarcastique, avant de s’étaler dans son fauteuil et de laisser le soin à Terra de s’installer sur le canapé.