Son regard qui fixe l’impressionnant portail. Probablement de l’or. Conçu pour être robuste. Somptueux. Un premier aperçu de ce qui se cache en ses murs. Du prestige qu’il garde en son sein. Ça lui fait tout drôle, à Tharma, de revenir ici. Malgré toutes les années passées à l’académie d’Alféa, elle peine encore à se dire que ça a pu être chez elle. Y’a comme un flou qui la submerge. Comme une vague sensation de connu qui côtoie l’inconnu. Elle reconnait l’allée principale, puis la bâtisse qui siège derrière. À mesure qu’elle s’approche, elle redécouvre tout, et constate que rien a changé. Et pourtant… C’est comme si ça faisait une éternité qu’elle n’y avait pas remis les pieds, quand bien même ça ne fait que quelques années à peine. Elle n’est pas si différente que durant ses études. Elle n’a probablement même pas pris un cheveu blanc. Alors pourquoi est-ce qu’elle se sent si mal à mesure qu’elle avance dans les allées fleuries des jardins ? La sensation d’imposture. De ne pas être à sa place. D’être dans le corps de quelqu’un d’autre. Encore et toujours cette même sensation désagréable.

Mais elle s’adapte, Tharma. Et elle ne laisse rien paraitre. Une zone d’entrainement des spécialistes qui se dessine devant elle, et qu’elle finit par rejoindre. L’heure de cours touche à sa fin, et les étudiants commencent déjà à ranger leurs armes. Elle ne met pas longtemps à reconnaitre la silhouette d’Heava, qui lui tourne le dos. Des regards se portent dans sa direction à mesure que les étudiants quittent le terrain d’entrainement et qu’ils passent à côté d’elle. Certains la reconnaissent, lui adressant un simple signe de tête. Elle leur rend d’un air distrait, avant de finalement s’avancer jusque Heava. « Pas trop amochée ? qu’elle lui demande en guise de salutations. Tharma a remarqué qu’elle se massait la nuque, et quand la jeune femme se retourne elle constate une légère blessure au niveau de l’arcade. Tu veux que je t’aide à nettoyer ? » Un sourire qui ponctue la fin de sa phrase, se dirigeant vers un caisson dont elle retire une trousse de soins. Tous les étudiants, et même l’instructeur, ont fini par quitter la zone, les laissant seules. La journée touche à sa fin, et Tharma sait que les cours sont à présent terminés. Elle aura donc tout le loisir de profiter d’Heava. Enfin, si elle n’a rien de plus important de prévu, bien évidemment. C’est un peu le problème des surprises et du fait de ne pas avoir annoncé sa venue. Elle se penche afin d’enlacer son amie. « Ça fait un bail. Comment tu vas ? Prête pour les examens de fin d’année ? » Elle sait qu’Heava est en dernière année, et que son diplôme est à portée de mains. La consécration de toutes ces années éprouvantes qu’elle caresse du bout des doigts. Tharma avait attendu ce jour avec impatience, espérant ressentir un sentiment de libération. Mais elle avait, au final, très vite déchantée. Remplaçant la rigueur militaire de l’école par celle de l’armée solarienne. Rien n’avait vraiment changé, si ce n’est qu’à présent Alféa avait laissé place à Solaria.  

La dernière année. C’est ma dernière année pour faire mes preuves et montrer que je suis une excellente recrue, espérant pouvoir rentrer dans l’armée de Solaria. Je m’entraîne sans relâche depuis que je suis jeune, souhaitant suivre les traces de mon frère. J’ai appris différents sports de combat et Riven m’apportait son aide quand nous nous voyons de temps en temps pour m’aider à m’améliorer et être une bonne recrue. Le corps à corps reste néanmoins une de mes faiblesses, étant bien meilleur en tirant à l’arc. Mais j’ai appris à manier les dagues pour me défendre. Mais pour notre cours, il faut utiliser que nos poings, ce qui me fait soupirer légèrement. Enfin cela me fera un entraînement.

Le cours terminé, je me masse la nuque, mon adversaire n’ayant pas été tendre en face de moi. Enfin cela me permet de repousser dans mes retranchements car mes ennemis ne seront pas tendre avec moi si je dois les affronter. Prenant une gorgée d’eau tout en observant mes camarades quitter le terrain, je me retourne en entendant une voix qui m’est familière.

- Tharma. Mais qu’est-ce que tu fais ici ?

Un immense sourire se glisse sur mes lèvres en voyant celle qui a été mon mentor pendant qu’elle était encore à Alféa. Elle m’a beaucoup aidé dans mes entraînements et nous avons fini par créer une amitié avec le temps.

- Je veux bien oui. Mon adversaire n’y a pas été de main morte.

Je ris légèrement alors qu’elle revient avec la trousse de secours pour pouvoir me soigner tandis qu’il n’y a plus personne sur le terrain à présent. Je lui rends son étreinte, vraiment contente de la voir.

- Effectivement ça fait un petit moment. Et bien comme tu peux le voir, je vais plutôt bien. Et toi ? Oui, on essaye. Le corps à corps qui reste faible mais dans l’ensemble je m’en sors bien.

Elle ne pensait pas se lier sincèrement d’amitié avec quelqu’un à l’université. Mais force est de constater qu’elle s’était trompée. Les choses avaient été bien plus complexes que sur le papier. Infiltrer, espionner, rester détachée. Tharma s’était vite rendue compte que ce serait compliqué. Pire, impossible. Elle ne pouvait pas rester insensible, dans son coin, et encore moins antipathique. Bien qu’ils viennent d’un milieu complètement différent du sien, les spécialistes étaient devenus sa deuxième famille. Complètement à l’opposé de la première, certes. Et ça avait quelque chose de déstabilisant. Encore aujourd’hui. Tharma avait passé de nombreuses années à leurs côtés. Dans les bons, comme dans les pires. Les entrainements étaient rigoureux, et pour survivre il avait fallu qu’ils se serrent les coudes. Alors forcément, elle avait noué des liens. Au-delà des mensonges. Au-delà des faux-semblants. Au-delà de la réalité. Certes, ils ne connaissent pas la véritable Tharma. Mais ils la connaissent bien quand même. Probablement mieux que sa famille qu’elle n’a vu que trop peu, au final, depuis qu’elle a intégré l’académie et qu’elle est sous couverture. C’est donc déroutant. D’apprécier autant des personnes qui ne connaissent pas votre véritable vous, et qui, si c’était le cas, vous repousserez avec force et dégout. Mais c’est comme ça, et il ne pourrait en être autrement.

La surprise qui se lit sur les traits de la jeune spécialiste quand elle reconnait Tharma. Heava fait partie de ceux que Tharma apprécie le plus. De ceux avec qui elle se sent le plus à l’aise. Sans qu’elle ne le sache, Heava est probablement celle qui connait le mieux Tharma. Celle à qui cette dernière s’est le plus confiée. À de nombreuses reprises, Tharma a hésité. À lui dire la vérité. À tout lui avouer. Mais à chaque fois, finalement, elle avait préféré tourner sept fois la langue dans sa bouche. Car ça ne pouvait que mal se terminer, et elle ne voyait aucun intérêt à risquer de tout perdre, si ce n’est, pour une fois, être complètement honnête. « Je n’ai pas le droit de venir voir ma recrue préférée ? qu’elle targue avec un grand sourire. » Tharma a tout de suite bien accroché avec Heava. Et même encore aujourd’hui, elle s’étonne presque de ressentir le besoin de venir la voir à Alféa, alors qu’absolument rien ne l’y oblige. Si sa famille était au courant, ils seraient probablement en désaccord avec cette idée. Parce qu’elle ne devait pas s’attacher, Tharma. Mais qu’elle l’a fait quand même. Faire autrement aurait été impossible, ils devraient le savoir. Ils ne sont pas à sa place, ils ne peuvent pas comprendre. Tant pis. Ça sera son petit secret. Elle n’est plus à un près.

Après avoir attrapé la trousse de soins, elle fait signe à Heava d’aller s’assoir sur un des bancs. Se plaçant en face d’elle, elle ouvre la trousse pour en observer le contenu. Elle ouvre un paquet de compresses et les imbibe d’alcool, « Ça va piquer, qu’elle la prévient, avant de lui tamponner doucement le front. » Les spécialistes sont habitués à ce genre de blessures, et donc à la routine alcool qui pique. Tharma a même plusieurs cicatrices dues aux points de suture. Les risques du métier, et des entrainements. Il faut s’entrainer en conditions réelles, car sur le terrain, les adversaires ne feront pas de cadeaux. Et forcément, ça laisse des traces. Des souvenirs. « Oui ça va. Ça fait bizarre de ne plus être à l’académie. Un sourire qui se veut teinté de nostalgie, avant qu’elle ne se reprenne. Tu as pensé à ton équilibre pendant les esquives ? » C’était un des axes d’amélioration, et un point de travail, que Tharma lui avait donné lors de leur dernier entrainement ensemble. Après avoir nettoyé le sang autour de la blessure, elle se penche pour mieux l’observer. « C’est superficiel, y’aura même pas besoin de strip. Un pansement pour la soirée, et demain ça ne sera probablement plus qu’un lointain souvenir. » Verdict d’une infirmière en herbe qui n’y connait pas grand-chose, mais qui a l’habitude de gérer ce genre de situations. Elle sort de la trousse un petit pansement qu’elle colle autour de la plaie, avant de se reculer pour admirer le résultat. « J’ai reçu mon affection, qu’elle finit par déclarer, de but en blanc. Elle ne savait pas comment le lui annoncer, alors elle préfère la façon directe. J’ai été affectée à la garde rapprochée de la Conseillère Elain Heivoris. » Y’a un éclat de fierté qui perce dans le timbre de sa voix, tout comme son regard qui s’empli de triomphe. Tous ses efforts durant toutes ces années, et sa participation au Rituel du Sang des Illyriens, auront fini par porter leurs fruits, finalement.   

La surprise peut se lire sur mon visage en entendant une voix qui ne m’est pas étrangère. Tharma. Me retournant afin de lui faire face, un immense sourire se glisse sur mes lèvres. Cela fait un petit moment que nous ne nous sommes pas vues et c’est toujours un plaisir de la revoir. Elle a été mon mentor pendant une partie de ma scolarité à Alféa et continue toujours de me donner quelques conseils. Prenant un air un peu fier quand elle me dit que je suis sa recrue préférée, je finis par sourire.

- Bien sûr que si. Mais tu aurais dû me prévenir, on aurait pu se voir après l’entraînement. Là je ne sens pas tellement la rose.

Je ris légèrement. Et puis j’imagine que notre dortoir n’est pas tellement en état pour la recevoir non plus. Elle me fait alors remarquer ma blessure au niveau de l’arcade et il est vrai que mon adversaire n’y a pas été de main morte. Mais dans un sens, sur le terrain non plus mes adversaires ne seront pas tendres avec moi donc cela ne sert à rien de se ménager. Acceptant son aide pour qu’elle nettoie ma blessure, je m’installe sur l’un des bancs tandis qu’elle récupère ce qu’il faut pour nettoyer. Je souris quand elle me dit que ça risque de piquer un peu. Je suis habituée, ce n’est pas la première blessure que je me fais. Grimaçant légèrement, je la laisse faire tout en répondant à ses questions.

- J’imagine que oui ça doit être bizarre. Et oui j’y pense, mais peut-être que je n’y prends pas encore assez bien.

Ce n’est pas la seule à m’en parler, Aslan aussi l’a fait la dernière fois donc j’imagine que j’ai encore cela à travailler. Elle termine de nettoyer la plaie et m’explique que ce n’est que superficiel et qu’un pansement suffira pour ce soir.

- Merci beaucoup.

Je lui offre un sourire alors qu’elle me met le pansement. Puis elle m’annonce qu’elle a reçu son affectation. Levant mon regard vers elle, j’attends de savoir où elle a été affectée. Quand elle me dit qu’elle sera de la garde rapprochée de la conseillère Elain Heivoris, je me lève et la prends dans mes bras.

- Félicitations ! Tu dois être contente c’est un poste important. Et c’est une personne vraiment gentille.

L’ayant eu comme belle-mère quelques temps, j’ai pu la côtoyer un peu et elle a toujours été très agréable avec moi.

- Il va falloir qu’on fête ça alors.